Gestion, management et leadership
Tous les gestionnaires devraient être des leaders, mais tous les leaders ne sauraient être des gestionnaires. Vrai ou Faux?
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La gestion des organisations au XXIe siècle (1 de 3)
La gestion d’une entreprise ou d’une de ses fonctions advient toujours dans des contextes systémiques particuliers et est influencée par les variables situationnelles de l’environnement interne et externe. L’histoire récente du management témoigne de cette influence. La révolution des télécommunications, les innovations technologiques et la globalisation des marchés ont transformé la systémique des entreprises du XXIe siècle. D’un mode de production industriel influencé en grande partie par des stratégies de domination par les coûts, le paysage de l’entreprise moderne s’est lentement transformé. À l’importance des systèmes de production s’est substituée l’importance des processus et des stratégies de pénétration des marchés. D’une économie de créneaux locale, exploitant la proximité et l’abondance des ressources naturelles, nous sommes passés à une économie de cerveaux, sans frontière géographique, et où tout le monde est en compétition globale. Pour être compétitive, une entreprise ne peut plus se fier uniquement au raffinement de ses modes de production, car la rapidité et la mouvance des marchés peuvent rendre obsolète un extrant populaire en l’espace de quelques mois. Ce ne sont plus seulement des produits qui sont commercialisés, mais bien des idées, des services, des processus générateurs de processus. L’entreprise moderne est plus abstraite, plus virtuelle, plus intelligente, d’où l’importance qu’elle doit accorder à son capital humain et à ses équipes de travail.
En discutant de compétences comme le leadership et l’intelligence émotionnelle et en mettant en valeur l’importance de facteurs environnementaux comme l’apparition des femmes au travail, cette série de 3 articles se veut une réflexion sur la transformation du travail du gestionnaire dans l’entreprise moderne du XXIe siècle.
Que pensez-vous de l’affirmation suivante : « Tous les gestionnaires devraient être des leaders, mais tous les leaders ne sauraient être des gestionnaires ».
Le leadership est un concept clé de la gestion. Pas une semaine ne passe sans que le journal Les affaires n’en mentionne l’importance, en mettant dramatiquement l’emphase sur l’urgence de former des leaders au Québec et dans le monde. Des sites Web sur le leadership poussent un peu partout : le 1er décembre 2008, la requête «leadership, Québec » sur l’engin de recherche Google retourne plus de 3 700 000 résultats au Canada seulement. Qu’en est-il exactement de la différence entre la gestion et le leadership?
La gestion est le fait de planifier, organiser, diriger et contrôler le bon fonctionnement des opérations d’une organisation. Le gestionnaire administre une ou plusieurs fonctions de l’entreprise. Il maximise l’efficience du système en veillant au bon déroulement des opérations. Son autorité provient directement de l’organisation qui oblige la subordination des membres d’une équipe à l’accomplissement d’une mission spécifique. Le gestionnaire s’assure que les employés font les tâches qu’ils doivent faire et qu’ils atteignent les objectifs qui leur sont assignés tout en respectant les politiques de l’organisation.
L’essence du leadership est la faculté d’influencer positivement les autres. Un leader reçoit son autorité d’un groupe d’individus qui choisissent librement d’être en relation avec lui afin d’accomplir une mission spécifique. Le leader peut provenir de tous les échelons de l’organisation, car son pouvoir n’est pas nécessairement associé à son titre. Son pouvoir est d’avoir une vision (souvent transformatrice) qu’il communique et partage en inspirant et en motivant son entourage.
Alors que le travail du gestionnaire est de bien faire les choses, le leader se questionne afin de faire les bonnes choses (Bennis, 1989). Le gestionnaire systématise la gestion d’une organisation alors que le leader utilise son influence afin de penser et d’inspirer l’organisation. Selon Appelbaum, «les vrais leaders sont ceux qui arrivent à faire en sorte que les employés atteignent des objectifs précis sans leur donner continuellement des directives, et ce, en les inspirant, en leur faisant confiance et en développant leur autonomie. Ces leaders ne sont pas des gestionnaires, mais plutôt des coachs, des mentors» (Les affaires, 2008, para.2). L’aspect humain et relationnel du leader sont des qualités essentielles que le gestionnaire ne possède pas nécessairement.
Il y a une différence fondamentale entre les intentions d’un leader et les objectifs du gestionnaire : les objectifs du gestionnaire sont précis et mesurables alors que la vision transformatrice qu’un leader communique à son entourage n’est pas nécessairement garante du succès de ses intentions. La compagnie Enron, par exemple, fut nominée six années consécutives par le magazine Fortune comme leader de l’innovation aux États-Unis, avant de devenir le symbole scandaleux d’une gestion institutionnelle frauduleuse et corrompue. Plus près de nous, Roch Denis, ancien recteur de l’UQAM, reçut un doctorat honorifique pour l’ensemble de sa carrière en 2005 avant de faire la une de tous les journaux pour cause de mauvaise gestion, lors du scandale financier de son institution en 2007. En ce sens, nous pouvons dire que le leadership n’est pas nécessairement un synonyme de bonne gestion ou que tous les leaders ne sauraient être des gestionnaires.
Le leadership et la gestion ne sont pas situés sur le même niveau. Le leadership est une des qualités essentielles du gestionnaire alors que l’aptitude pour la gestion n’est pas une des qualités essentielles d’un leader. Si, par exemple, un ouvrier rassemble tous les employés d’un groupe de travail pour les soulever contre les mauvaises pratiques d’un gestionnaire, il ne viendra jamais à l’idée de dire que cet employé possède (ou non) des aptitudes pour la gestion . À l’opposé, le gestionnaire responsable de ce groupe de travail ne manquera pas d’être pointé du doigt pour le manque de leadership de sa gestion.
Dans l’exercice de son pouvoir, le gestionnaire peut utiliser plus d’un style de gestion. Les principaux styles de gestion sont :
- la structuration dans les tâches ou le maintien des relations interpersonnelles (Bales, 1950);
- l’autocratie directive ou la démocratie participative (Lewin & Lippit, 1938; Vroom & Yetton, 1973);
- une approche transformatrice, transactionnelle ou de laissez-faire (Burns, 1978; Bass, 1998).
Certains styles de gestion contribuent à la cohésion du groupe de travail alors que d’autres styles nuisent à sa synergie. Le travail du gestionnaire est d’analyser et de comprendre la systémique de l’entreprise, ses orientations stratégiques et les variables de son environnement afin de déterminer le ou les meilleurs styles à mettre en œuvre pour assurer le succès d’une situation particulière. L’utilisation d’un style de gestion adapté à un contexte particulier produit le leadership, c’est-à-dire la capacité d’influencer positivement les autres et de les motiver. C’est ce qui explique le fait que le même style de gestion peut être très concluant dans un environnement particulier et complètement désastreux dans un autre contexte.
Dans le modèle industriel de l’entreprise verticale qui a longtemps prédominé, le pouvoir d’influence du chef est la coercition et le pouvoir décisionnel de ses gestionnaires se limite souvent à la mise en œuvre de moyens afin d’assurer le fonctionnement du système. Dans ce contexte, le style du gestionnaire relève plus du contrôle autocratique et de la structuration par les tâches que du pouvoir participatif d’un groupe de travail.
Le fait de dire que tous les gestionnaires devraient être des leaders est un concept résolument moderne. Il est vrai que de nos jours, un bon dirigeant ne peut plus se fier uniquement au pouvoir coercitif que lui confère son poste et qu’il est préférable qu’il mette en oeuvre des moyens favorisant la participation active et la synergie de ses employés. Cependant, il ne faut pas oublier que dans certaines situations, ce sont des styles de gestion plus autoritaires et plus structuraux qui produiront l’influence désirée. Il est préférable, par exemple, d’encadrer un jeune diplômé universitaire et de procéder étapes par étapes, avant de lui donner un plus grand pouvoir d’autonomie décisionnelle; ou d’utiliser l’autonomie décisionnelle avec précaution pour assurer la cohésion, l’efficacité et la sureté d’un groupe de soldats en terrain ennemi. Ce ne sont pas seulement les méthodes orientées sur les personnes qui produisent le pouvoir rassembleur du leadership, mais aussi la structuration des tâches de travail ou l’habile mélange de ces deux styles de gestion.