Les femmes, l’organisation et la diversité
Nos organisations ont trop longtemps été des organisations masculines, dominées par les hommes et pensées par des hommes.
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La globalisation des marchés, la révolution des télécommunications et des technologies de l’information ont redéfini nos modes de production, obligeant la réorganisation des entreprises traditionnelles. D’un mode plus industriel où le chef trône au sommet d’une pyramide verticale de subordonnées, l’entreprise moderne s’est lentement rationalisée, diminuant l’écart entre le chef et ses subordonnées et privilégiant les processus sur les fonctions. Des équipes de travail multifonctionnelles se sont multipliées, favorisant le décloisonnement de l’entreprise et suscitant de plus en plus la participation des employés, tout en favorisant leur autonomie décisionnelle. À l’importance d’une fonction impersonnelle s’est substituée l’importance de l’individu. Dans ce contexte, la fonction du chef d’équipe s’est radicalement métamorphosée. La performance d’une organisation ne peut plus reposer uniquement sur l’amélioration de ses modes de production et de ses processus de contrôle, mais doit inévitablement passer par la synergie du travail des ressources humaines, l’amélioration et l’élargissement de leur éventail de compétences et la maximisation de leur motivation au travail.
Plusieurs études ont constaté des différences entre les styles de travail féminins et les styles de travail masculins. Un style masculin est axé sur l’accomplissement dans les tâches, la structure et le pouvoir alors qu’un style féminin est axé sur la considération, la participation et la dimension relationnelle du travail. Bien que le style masculin et le style féminin soient différents, il faut faire attention de ne pas tomber dans les préjugés, car ce ne sont que des styles. Un style définit comment une personne agit, mais ne saurait définir comment la personne est : un homme peut avoir un style plus féminin et une femme un style plus masculin. Toujours est-il qu’il est intéressant de constater que la gestion autocratique, fonctionnelle et hiérarchique de l’entreprise verticale traditionnelle nécessite un style plus masculin alors que la gestion participative, humaine et centrée sur l’équipe de l’entreprise horizontale moderne nécessite un style plus féminin. Le gestionnaire moderne agit plus comme conseiller que comme chef : il tient compte des besoins des membres de son équipe, les fait participer à l’élaboration des tâches, s’assure qu’ils conviennent de l’atteinte d’objectifs précis, élimine les obstacles afin de faciliter leur travail, et leur offre un soutien moral constant.
Les femmes sont de plus en plus nombreuses à occuper des postes à tous les niveaux de l’organisation. Elles sont même maintenant plus nombreuses que les hommes à obtenir des diplômes universitaires au Canada, notamment en gestion. Il serait tentant de conclure que cette tendance ne peut qu’être favorable au contexte de féminisation de l’entreprise moderne : qui est mieux placé qu’une femme pour favoriser un style féminin dans l’organisation?
Les problèmes de la diversité
Il est indéniable que le nombre grandissant de femmes dans les entreprises favorisent une plus grande diversité dans les équipes de travail. Que ce soit dans les différences de sexes, d’âge ou de culture, la diversité est un facteur qui enrichit les perspectives d’un groupe et qui lui permet d’augmenter sa capacité à faire face aux problèmes. En mettant en lumière différentes perspectives, la diversité agit positivement sur le groupe en tant que balancier comportemental et l’aide à prendre les meilleures décisions. Il est cependant normal que, dans un premier temps, la diversité soit déstabilisante, surtout dans un contexte de changements de valeurs organisationnels.
Nos organisations ont trop longtemps été des organisations masculines, dominées par les hommes et pensées par des hommes. Afin d’assurer la cohésion et la productivité de ses équipes de travail, l’entreprise moderne doit non seulement adopter des styles de travail transformateurs (souvent associés à des valeurs plus féminines), mais doit aussi faire face à l’arrivée massive des femmes dans l’organisation. Ce contexte peut créer certaines frictions :
- Au lieu d’accueillir l’arrivée des femmes au travail, les hommes en défavorisent la venue, car ils les considèrent comme une menace à l’autorité de leur pouvoir, d’autant plus que la manière d’exercer cette autorité est remise en question dans l’entreprise horizontale moderne et que les femmes sont plus habiles que les hommes dans l’exercice des styles transformateurs (Eagly, Johannessen-Schmidt et Van Engen, 2003);
- Les femmes peuvent être portées à adopter des styles de travail plus masculins afin de se faire accepter des hommes et priver ainsi l’organisation de la richesse de leur perspective;
- Les femmes peuvent rejeter systématiquement le style masculin qui peut s’avérer pourtant utile dans certaines situations;
- Les nombreuses iniquités salariales défavorisent la cohésion des équipes de travail et en diminuent la performance.
- Les programmes gouvernementaux visant à faire augmenter la présence des femmes en entreprise peuvent entrainer un certain favoritisme. Le fait qu’à compétences égales (et même à compétences inégales, dans certains cas) ce soit une femme plutôt qu’un homme qui obtient un poste de travail peut être mal interprété par les coéquipiers, et ralentir la propension du groupe à aider cette personne.
L’influence du Web
Pour pouvoir réagir plus rapidement, les équipes de travail se voient déléguer de plus en plus de responsabilités et de pouvoirs décisionnels. Afin que les préjugés de toutes sortes ne prennent pas plus d’importance que les objectifs de performance à atteindre, il est primordial que la direction d’une organisation adopte des politiques appropriées et qu’elle mette en place les programmes de formation ciblés. D’autant plus que le paysage culturel de l’entreprise horizontale moderne est en métamorphose et que le nombre d’équipes transnationales et virtuelles est à la hausse. Ce sont non seulement les femmes qui sont de plus en plus nombreuses à accéder à l’entreprise horizontale moderne, mais les cultures et les minorités de toutes sortes.
Le travail d’équipe est là pour rester, mais je pense que le concept de relation entre les membres d’une équipe va évoluer dans les prochaines années, surtout à cause de l’influence des équipes virtuelles. La virtualité des membres de ces équipes et leur durée de vie souvent éphémère (le temps d’un projet) remet en question l’actualité des différences binaires homme-femme, jeune vieux, socialiste-capitaliste, intégriste-laïque, etc. Lorsque, par exemple, je travaille sur un projet Web pour une agence d’immigration avec un programmeur de la Corée du Sud et une rédactrice de Singapore, je choisis les membres de l’équipe en fonction de leur capacité à atteindre l’objectif. Peu importe le sexe d’une personne, son orientation sexuelle ou sa culture, si l’objectif d’un projet requiert une approche plus masculine, je serai porté à collaborer avec une personne qui possède le style masculin que je recherche. L’influence du Web sur le décloisonnement du travail permet non seulement à l’organisation de ne plus subir les modes de travail de ses employés, mais de choisir le ou les styles les plus appropriés pour combler un besoin précis à un moment déterminé. En ce sens, je pense que l’Internet favorise l’androgynéité au travail et qu’un style androgyne est peut-être l’aboutissement logique du style transformateur en vogue dans nos entreprises modernes.
La photo de la femme a moustache est une idée de Tanguy Paquot et provient de la collection personnelle de katutaide.