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Vers une économie de savoir

La notion de changement organisationnelle est profondément encrée sur le mode passif du moindre mal ou sur le mode réactif de l’urgence.

Publié le 6 minutes de lecture
Vers une économie de savoir - kinaze
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J’ai toujours pensé que le Canada avait été bien maladroit dans l’exploitation de ses ressources naturelles. Le bois, les mines et l’eau sont faciles à exploiter : une compagnie s’installe à un endroit stratégique et elle peut commencer à exploiter le précieux intrant. Pas plus compliqué que ça. Il y a du fer par ici? Une grosse rivière par là? Du bois un peu partout? Même du pétrole? Il ne suffit que de cueillir le précieux intrant ou de le transformer et de le vendre à quelqu’un. Encore mieux : les États-Unis peuvent venir organiser tout ça à notre place.

Notre gouvernement se graisse la patte de commissions généreuses pendant que ses proxénètes font rouler l’économie. On coupe à blanc un peu partout, car de toute façon on peut toujours continuer de couper un peu plus loin. On ouvre des villes au Québec pour exploiter des mines et on les ferme quand le métal n’est plus rentable (Gagnonville, Schefferville). On édifie de puissants barrages hydro-électriques sans se soucier des impacts environnementaux à long terme. On profite d’une pénurie mondiale de pétrole pour assécher nos réserves naturelles en Alberta. Bref, on fait ça tout croche, mais ça fait rouler l’économie et l’économie c’est important, c’est si important que le temps c’est de l’argent et si on s’arrête on risque d’oublier pourquoi on continue.

Tout le monde a une place naturelle dans ce type d’économie que Lester Thurow qualifie d’économie de créneau (Rethinking the future, 1999). J’ai des diamants en Afrique? J’exploite des diamants. Beaucoup de monde en Chine? J’exploite la main-d’œuvre. Des vaches dans ma cour d’école? J’en commercialise le lait. Dans ce contexte, la fonction d’une entreprise est d’organiser tout bêtement un système d’exploitation pour transformer des ressources naturelles abondantes, à portée de la main.

À cette économie de créneau du XXe siècle, Thurow oppose une économie des cerveaux du XXIe siècle. Une économie de cerveaux est basée sur des idées. Il n’y a pas de créneau naturel ou géographique pour les idées : elles peuvent pousser un peu partout. Dans le contexte d’une économie mondiale et globale, tout le monde est en compétition et peut développer le même produit ou le même service (Rowan Gibson). Si on demande à 5 pays industrialisés de nommer 5 secteurs dans lesquels ils aimeraient prospérer, il est probable que chacun rédigera plus ou moins la même liste. Ce qui changera, c’est la façon d’organiser et d’exploiter ces secteurs économiques. La population vieillissante du Québec, par exemple, n’est pas confinée au Québec et peut être exploitée par n’importe quel autre pays. Au plus habile de trouver la meilleure solution afin de capitaliser sur ce marché – qu’il soit américain, chinois, québécois ou un mixe des trois. Il suffit d’y penser, d’organiser une structure et d’en commercialiser l’extrant, que ce soit un produit (médicament) ou un service (santé, tourisme, assurance).

Il va sans dire qu’une économie de cerveaux repose sur le capital humain d’une entreprise, sur l’éducation de ses employés, leur formation et leur habilitation. « The dominant competitive weapon of the twenty-first century will be the education and skills of the workforce. In other words, we know the forces that are going to determine the future of capitalism. But what we don’t know is the exact shape of the future, because that’s not determined by the stars; it’s determined by what we do. » Il ne suffit plus d’exploiter une ressource intarissable, mais bien de mettre en œuvre les meilleures stratégies afin de pénétrer un marché ciblé. Tout le monde a accès aux mêmes variables, mais l’analyse qu’il en fait et les solutions qui sont conçues dépendent de la qualité du capital humain d’une entreprise. À cet égard, il est très ironique que Thurow dise qu’on ne sait pas ce que le futur nous réserve, car le futur est déterminé par ce que nous faisons… Veut-il dire que nous sommes éteints, comme ces étoiles qui ne brillent pas? Que nous travaillons machinalement, sans savoir pourquoi? Que nos produits et nos services manquent de vision?

Il me semble que la majorité des changements organisationnels visant à améliorer l’efficience de notre travail sont bien souvent le reflet d’un manque d’orientation. En d’autres mots, on fait des changements quand ça va mal ou on améliore des processus quand ils ne fonctionnent plus. Que ce soit pour vaincre la résistance, influencer le changement, changer la culture d’une entreprise, développer l’organisation ou gérer des conflits de travail, je trouve que la notion de changement organisationnelle est profondément encrée sur le mode passif du moindre mal ou sur le mode réactif de l’urgence. C’est peut-être normal. Ne travaille-t-on pas fondamentalement pour retourner chez soi et profiter de la vie avec sa famille?

La gestion des ressources humaines est capitale dans une économie de cerveaux. L’amélioration des processus humains et la maximisation de l’utilisation des facteurs technostructurels nécessitent des employés motivés, autonomes et compétents qui n’exécutent pas seulement ce qui doit être fait, mais qui se questionne sur comment il faut le faire. Google est un bon exemple de compagnie qui met tout en œuvre afin de favoriser la motivation de ses employés au travail :

  • De bons repas sont servis gratuitement, des services de toutes sortes sont mis à la disposition de l’employé (lavage de vêtement, infrastructures sportives) et les infrastructures de travail sont pensées en fonction des processus de travail.
  • Les employés sont libres de travailler sur ce qu’ils désirent, même si les projets ont l’apparence d’être inutiles. Ils peuvent quitter à tout moment leur petite équipe de travail afin d’en joindre une autre.
  • La créativité est encouragée et récompensée par des rétributions monétaires et la reconnaissance des pairs lors de fêtes de la qualité.
  • L’échéance des projets n’est pas fixée dans le béton. Google préconise le mode expérimental du processus d’un produit en perpétuelle métamorphose (Beta). Microsoft project, les diagrammes de Gantt ou la gestion de projet Excel ne sont plus que des fossiles préhistoriques de l’entreprise industrielle.
  • Le travail personnel est souhaité. En fait, tous les employés peuvent consacrer jusqu’à 20% de leur temps à la mise en œuvre de projets personnels.

Chez Google l’employé se sent… à la maison.

Il est temps de penser l’entreprise à l’extérieur de l’entreprise, en utilisant à notre avantage des variables qui n’ont en apparence aucun rapport avec nos problèmes. Si, par exemple, on se contente de répondre aux problèmes posés, il est fort probable qu’on obtienne légitimement les bonnes réponses, mais qu’arrive-t-il si les questions ne font plus de sens? À un mode passif ou réactif de gestion du changement organisationnel, il faut opposer un mode de changement plus actif où l’employé participe activement aux orientations stratégiques de l’organisation. Ceci permettra non seulement de développer des extrants de qualités, mais, plus fondamentalement, d’assurer le renouveau perpétuel de ces extrants en favorisant le développement d’extrants générateurs de processus, générateurs d’extrants générateurs de processus.

Le frame de Mars attack! de Tim Burton a été pris sur le site de L’arbre des possibles.

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