L’avantage des systèmes d’information de Sears
Nous examinerons les facteurs liés à la gestion, l’organisation et la technologie qui ont été responsables de la mauvaise performance de Sears.
Table des matières
Ce texte est le premier d’une série de 3 études de cas pour mieux comprendre le rôle des systèmes d’information dans l’entreprise. Pour plus d’informations, veuillez consulter La gestion des opérations de la chaîne logistique d’Heineken ou Les systèmes d’information mondiaux de Pirelli.
Sears est une entreprise qui existe depuis 1893. Comme beaucoup d’autres entreprises issues de l’ère industrielle, Sears a mal vieilli et a été incapable de maîtriser son expansion afin de maximiser sa rentabilité. Nous examinerons les facteurs liés à la gestion, à l’organisation et à la technologie qui ont été responsables de la mauvaise performance de Sears, et dans quelle mesure les systèmes d’information lui ont donné un avantage concurrentiel, mais tout d’abord faisons un bref survol de son historique.
Survol historique
À ses débuts, la clé du succès des stratégies d’affaires de Sears est toute simple : l’achat de marchandise en grande quantité lui permet de faire une plus grande marge de profit lors de la revente cette marchandise à des particuliers. Cette stratégie est d’autant plus efficace que Sears lance aussi un catalogue afin de promouvoir ses produits et met en place un centre de distribution qui couvre toutes les petites villes des États-Unis. Ainsi, les fermiers et travailleurs industriels de l’époque ont accès à des marchandises qu’ils ne peuvent pas trouver dans leurs magasins généraux ou qui coûtent beaucoup trop cher. Sears vend de tout pour tous les goûts. Ses catalogues font rêver l’Amérique et son nouvel ordre marchand. Son pouvoir d’achat lui permet d’acheter toute sorte de marchandises en grande quantité et de les revendre à profit au grand public. Rapidement, plusieurs centres de ventes au détail sont construits pour vendre directement les produits des catalogues. Sears ne cesse de prendre de l’expansion. Pourtant vers 1980, l’organisation perd son statut de leader des magasins de détail aux États-Unis.
Les problèmes de gestion
Les produits qui sont vendus aux consommateurs sont les produits que Sears peut trouver au rabais. Le processus d’achat des marchandises de Sears n’est pas systématique. Il dépend d’opportunités externes difficilement contrôlables. Une telle logique d’affaires rend difficile de planifier le processus d’achat des marchandises. Lorsqu’il est difficile de planifier les achats de marchandises, il est encore plus difficile de planifier les ressources requises pour les distribuer ou les vendre.
Plus l’entreprise prend de l’expansion, plus il est difficile d’y organiser le travail. À l’interne, Sears doit consacrer près de 30% de son chiffre d’affaires annuel au paiement de ses frais généraux (salaire, entretien, publicité, etc.). La complexité de sa structure organisationnelle trop verticale ne lui permet plus d’offrir des articles aux prix le plus bas sur le marché. Les modes de gestion de Sears ne sont pas intégrés; la structure organisationnelle de l’entreprise est beaucoup trop cloisonnée.
En fait, l’entreprise est victime d’un système bureaucratique paralysant. À l’interne, les gestionnaires passent beaucoup trop de temps dans l’administration de leurs systèmes, et dans l’analyse et la création de toutes sortes de rapports, alors qu’ils devraient plutôt se concentrer sur les ventes en tant que telles. À l’externe, les réseaux d’approvisionnement et de distribution sont dirigés par trop de ressources différentes. Le manque de coordination rallonge le temps de transit entre les fournisseurs, l’organisation et ses clients, ce qui diminue l’efficacité de l’organisation.
Offrir de tout pour tous les goûts, peut fonctionner un certain temps dans un monde où le nouveau pouvoir d’achat de la classe ouvrière est en ébullition, mais cet effet de levier disparaît quand les besoins des consommateurs se précisent. C’est d’autant plus problématique que Sears a une mauvaise compréhension des performances de son organisation. D’une part, Sears peut difficilement calculer les retombées globales d’une campagne publicitaire sur ses ventes. D’autre part, Sears n’est pas en mesure d’analyser facilement les tendances d’achat de ses consommateurs, dans chacune de ses succursales. Une telle situation rend difficile le contrôle des opérations de l’organisation.
Les problèmes organisationnels
Le principal problème de Sears est son manque de vision. Son idée de départ d’utiliser des catalogues pour rejoindre l’ensemble de la population rurale des États-Unis est géniale. Malheureusement, Sears n’a pas su renouveler ses stratégies d’affaires dans un environnement de moins en moins industriel (ou électrique), et de plus en plus électronique. Sears n’utilise pas les bonnes stratégies d’affaires, elle veut offrir trop de produits à trop de monde. L’entreprise imite les stratégies de diversification de ses concurrents dans un environnement qui lui est défavorable, car elle ne peut pas maintenir les prix les plus bas et dominer le marché par les coûts. Bien que très lucrative, son intégration verticale dans les secteurs du crédit, des assurances et de l’immobilier l’empêche de consolider son activité de base soit la vente au détail. Les prix les plus bas deviennent les prix les plus raisonnables auxquels sont ajoutés des rabais promotionnels pour mieux vendre les produits. Il aurait peut-être été plus avantageux pour l’entreprise de se concentrer sur une gamme spécifique de produits et de se différencier par l’avantage concurrentiel de son service aux consommateurs.
Sears a beaucoup de difficultés à concevoir son mix-marketing. Elle connaît mal ses clients et détermine ses prix et ses promotions de façon plus ou moins aléatoire. De plus, son système de ventes par catalogue n’est plus adapté à la nouvelle économie.
La structure organisationnelle de Sears vieillie mal. L’entreprise trop verticale a besoin d’être rationalisée. Pour demeurer compétitive et faire baisser ses frais d’exploitation, Sears doit diminuer son nombre d’employés et son nombre de magasins. L’accent doit non seulement être placé sur l’efficience fonctionnelle de l’organisation, mais bien sur les modèles comportementaux de relation avec les consommateurs. Au plan structurel, les fonctions des ventes doivent être mieux séparées des fonctions administratives. Au plan comportemental, certaines fonctions doivent être fusionnées afin de maximiser le pouvoir des ventes (service à la clientèle, remboursement, crédit, retour de la marchandise, etc.). Sears doit aussi rénover ses magasins pour les rendre plus efficaces et plus attrayants. Il ne suffit plus d’offrir aux consommateurs une grande surface impersonnelle où sont entassées les marchandises de toute sorte. Il faut soigner la présentation, tout en diminuant l’espace d’entreposage et en maximisant l’espace de vente.
Sears a trop longtemps négligé la formation de ses ressources humaines. Ses employés doivent être mieux formés pour mieux vendre. Il serait aussi préférable de mettre en place un système de prime sur les ventes afin de motiver les employés à la performance.
Les problèmes technologiques
Sears n’a jamais actualisé son principal outil promotionnel. Elle a trop longtemps utilisé un catalogue imprimé et impersonnel dont la pertinence était de moins en moins évidente dans un monde de plus en plus global et numérique. L’incapacité de Sears d’utiliser des techniques de marketing plus directes et plus personnalisées s’explique en grande partie par la non-accessibilité de ses bases de données. Tout se passe comme si ces bases de données avaient été conçues seulement pour distribuer des catalogues et non pas pour en suivre les ventes.
Sears est d’ailleurs aux prises avec des dédoublements de systèmes d’information qui l’empêche d’accéder facilement aux informations relatives aux fonctions de l’entreprise ou aux habitudes des consommateurs. Il faut parfois passer par plus de 18 systèmes pour obtenir des informations souvent conflictuelles et redondantes. Le manque de standard des bases de données rend l’analyse des informations lente et complexe, ce qui diminue globalement les performances de l’entreprise, tant au niveau des opérations, que des ventes ou du marketing.
Sears fonctionne avec du papier et des crayons quand elle devrait mesurer ses performances avec des ordinateurs et des logiciels. L’information n’est pas mise au profit des fonctions de l’entreprise; il est d’ailleurs très difficile pour celles-ci d’y accéder de façon décentralisée. La faiblesse du réseau de communication interne de l’entreprise renforce le cloisonnement des fonctions de l’entreprise et l’empêche de renforcer et de personnaliser les relations avec ses clients externes.
Dans quelle mesure les systèmes d’information ont-ils donné à Sears un avantage concurrentiel?
L’amélioration des bases de données de Sears (par la mise en place du système SPRS), lui permet de faire face aux problèmes exposés plus haut. Même si l’information des bases de données est centralisée, son accès est décentralisé, ce qui veut dire que toutes les fonctions de l’entreprise, en plus des distributeurs et des clients, peuvent y accéder pour consulter l’information qui les concerne. La consolidation de toutes les sources des données de l’entreprise lui confère une puissance informative qui lui permet de coordonner plus rapidement ses opérations et de faire plus avec moins.
Les informations sur l’état des stocks sont poussées chez les fournisseurs afin qu’ils puissent réapprovisionner les stocks juste à temps, ce qui fait diminuer de moitié le temps de transit de la marchandise et fait diminuer les coûts d’inventaire de 45 millions de dollars par année. Les fournisseurs peuvent même accéder à un système de facturation en ligne qui facilite la gestion des finances et de l’approvisionnement. Les informations de certaines catégories de produits ainsi que les promotions sont poussées sur le site Web de l’entreprise afin que les clients puissent les consulter pour mieux préparer leurs achats. La force de vente peut d’ailleurs accéder à l’ensemble des données concernant les clients et se différencier en offrant un service à la clientèle plus personnalisé (historique d’achats ou de réparation, disponibilité de la marchandise, accès au crédit, service à domicile, etc.).
L’accès aux informations des clients de Sears aide aussi les responsables du marketing à mieux comprendre les habitudes des clients de l’organisation et à établir de meilleures stratégies à adopter pour rejoindre ceux-ci avec les bons prix. En fait, Sears comprend pour la première fois que ce sont les femmes de 25 à 45 ans qui sont les principales clientes de l’organisation (et non pas les hommes de l’ère industrielle qui continuait d’être ciblé). La possibilité d’examiner les ventes par années, par segments de marché, par lieu géographique, ou par catégories de produits, permet à l’organisation de mieux déterminer les produits à distribuer globalement et localement. C’est ainsi que Sears décide de se concentrer sur six principaux types de marchandise.
Il devient plus facile de mesurer et de contrôler les performances de l’organisation, tant au plan opérationnel que stratégique. Sears dispose de meilleurs instruments de mesure pour analyser les retombées des dépenses publicitaires sur les ventes et de changer les stratégies s’il le faut. Sears peut aussi mieux mesurer les performances de ses opérations et prendre les mesures nécessaires afin d’en maximiser l’efficience. C’est ainsi que Sears procédera à la fermeture de 113 magasins et l’abollition de 50 000 emplois.
Les ventes progressent alors que les coûts des opérations diminuent. Malheureusement, c’est trop peu, trop tard. Sears ne pourra jamais égaler l’efficacité opérationnelle de Wal-Mart et ce ne sont pas ses nouvelles stratégies de concentration et de différenciation qui lui permettront de se démarquer. Pour maintenir son chiffre d’affaires, Sears devra malheureusement favoriser un accès démesuré au crédit.