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Apprendre le français aux chinois

Observations et spécificités de l’étudiant sinophone en classe de francisation à l'université - kinaze

Publié le 11 minutes de lecture
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Table des matières

Voici un extrait du rapport «Intégration d’étudiants sinophones en classe de francisation» que mon épouse Karine Veillette a rédigé dans le cadre de son travail. Je publie une portion de la section «Observations et spécificités de l’étudiant sinophone en classe de francisation» car je la trouve non seulement enrichissante dans son contexte d’éducation mais je pense que cette réflexion peut donner des pistes pour mieux comprendre les enjeux culturels et les facteurs sociaux à prendre en compte dans les relations d’affaires entre le Canada français et la Chine, ou l’Asie en général.

Les différences langagières

Le français et le chinois mandarin n’appartiennent pas au même système langagier. Il en découle d’importantes différences quant aux aspects phonologiques, lexicaux et morpho-syntaxiques des deux langues. Le mandarin est une langue avec quatre tons. Pour les Chinois, la prononciation et la perception des sons en français deviennent rapidement un défi. Par exemple, pour eux, il n’y a pas d’opposition entre les consonnes sonores (b,d,g) et consonnes sourdes (p, t, k). Par conséquent, distinguer cadeau et gâteau n’est pas une tâche simple. Dans la classe de francisation, les principales difficultés phonétiques observées sont : la différence entre les voyelles orales et nasales; les intonations; l’égalité syllabique et l’enchaînement consonantique et vocalique.

En Chine, l’évocation visuelle est largement sollicitée lors de l’apprentissage de l’écriture. En effet, dès leur jeune âge, les étudiants apprennent les caractères chinois par des automatismes de la main. En français, en revanche, l’évocation phonétique occupe une place privilégiée. D’ailleurs, l’exercice de la dictée révèle l’écart entre les modes d’apprentissage français et chinois et même avec les étudiants ayant appris le français pendant plus de trois ans en Chine. Parmi ces étudiants, plusieurs arrivent avec des erreurs fossilisées de la langue. Principalement, on retrouve des erreurs avec les verbes, les articles, les prépositions, les pronoms, aussi bien à l’oral qu’à l’écrit.

Des approches pédagogiques différentes

Une des grandes difficultés que rencontrent les étudiants sinophones dans les cours de francisation au Québec est le choc des « cultures didactiques » qui sont, en grande partie, opposées.

La méthode « grammaire-traduction »

Généralement, dans le système éducatif chinois, la méthode « grammaire-traduction » est la plus répandue dans l’enseignement des langues étrangères. Cette méthode consiste à privilégier la grammaire, le vocabulaire et la traduction dans l’enseignement. La compréhension orale et l’expression orale sont mises au second plan. On ne met pas beaucoup d’emphase sur la prononciation de la langue seconde. Par contre, la mémoire occupe un rôle central. De plus, l’enseignement est souvent donné dans la langue maternelle des apprenants. Les principaux objectifs de cette approche sont :

  • lire des textes littéraires;
  • développer les facultés intellectuelles et
  • former de bons traducteurs (habiletés visées : lecture et écriture).

L’erreur n’est pas tolérée et encouragée. Encore de nos jours, l’enseignement en Chine est marqué par une conception du rôle de l’enseignant qui concorde avec la tradition confucéenne. C’est-à-dire que l’enseignant est le détenteur du savoir et de l’autorité et l’élève exécute ce qu’on lui dit. Peu d’initiative est laissée à l’apprenant. Poser des questions pourrait gêner l’enseignant et les autres étudiants. Il est donc préférable de noter les prescriptions de l’enseignant et de les mémoriser après la classe. La méthode grammaire-traduction serait considérée peu efficace pour l’acquisition d’une réelle compétence en langue seconde, même à l’écrit. (MRCI, 2002)

L’approche communicative

Au Québec et dans la plupart des pays occidentaux, l’apprentissage d’une langue seconde ou tierce est fondé sur le principe que la langue soit perçue tout d’abord et avant tout comme un moyen de communication ou mieux, comme un instrument d’interaction sociale. Selon cette approche, l’apprentissage de la langue vise non seulement l’acquisition de connaissances, mais aussi l’acquisition d’habiletés et de compétences langagières (compréhension orale, expression orale, compréhension écrite, expression écrite) avec toujours comme objectif principal de pouvoir communiquer avec des natifs ou avec des personnes qui parlent la langue cible. Les cours et les activités permettent aux apprenants d’être dans des situations réelles; par exemple, les exercices de grammaire ont un lien direct avec des thèmes de la vie courante. Le cours est exclusivement dans la langue cible. L’erreur est perçue comme un processus naturel d’apprentissage et elle est inévitable. L’enseignement est centré sur l’apprenant. Le rôle du professeur est de guider, faciliter, organiser et évaluer le travail de façon continue. Avec l’approche communicative, l’apprenant est un être actif qui construit ses savoirs (connaissances), ses savoirs-faire (compétences pratiques) et ses savoirs-être (capacité de produire des actions et des réactions adaptées à l’environnement humain). L’apprentissage résulte donc d’un processus dynamique qui se déroule à l’intérieur de l’individu et qui est influencé par lui. Toujours selon cette approche, les stratégies d’apprentissage influencent grandement l’apprentissage d’une langue et les niveaux de compétences atteints. Ce type d’approche pédagogique est beaucoup plus exigeant tant pour le professeur que pour l’étudiant (MRCI, 2002).

À la lumière de ces informations, il est plus facile de comprendre pourquoi la plupart des étudiants sinophones ont des difficultés marquées avec certaines stratégies d’apprentissage utilisées par les apprenants en langue seconde. Dans l’article Apprenants sinophones et place de la parole dans la classe de FLE, Béatrice Bouvier (2002) a classé et organisé deux tableaux : le premier compare les approches didactiques des enseignants selon qu’ils soient Chinois ou Français et le deuxième expose leur différence de comportements et d’attitudes .

Autres traits caractéristiques

La timidité

Les élèves chinois apparaissent parfois comme très timides. Mais signalons que pour un jeune, la timidité est une vertu en Chine.

Le sourire

Chez les Asiatiques, un sourire peut vouloir dire « bonjour », remplaçant l’expression orale.

Les salutations

En ce qui concerne les salutations, les Chinois se saluent le plus souvent par un serrement de main. Les gens n’ont pas l’habitude de s’embrasser en public, même entre amis et parents proches. Le baiser est réservé aux amoureux ou aux jeunes enfants.

Sauver la face

Dans son mémoire L’enseignement du français en Chine face à la problématique de l’interculturel : quel rôle jouent les TIC? , Xu Haiyan nous renseigne sur la signification du concept de « face » chez les Chinois :

Le phénomène de « face » chez les Chinois explique beaucoup de comportements auxquels les Occidentaux sont peu familiarisés. En plus du « visage », la notion de « face » désigne également « la réputation et le prestige » pour les Chinois.(…) Certains comportements sont induits par cette valeur socioculturelle qu’est la « face ». Ainsi, dans la classe, l’acte de demander de l’aide publiquement est considéré comme une marque d’incompétence, et on risque de faire perdre la face du professeur et la sienne. Il est bon donc de garder la question en tête ou bien de demander de l’aide au professeur ou à un camarade en privé. (Xu Haiyan, 2005)

Les différences individuelles

Les enseignants constatent souvent des différences dans la façon dont les étudiants apprennent et le phénomène a été largement étudié en enseignement des langues. Selon Atlan (1999), on distingue généralement quatre types de différences individuelles :

  • des différences cognitives (style cognitif – dépendance/indépendance du champ, analysant/globalisant; style d’apprentissage – visuel, auditif, tactile; intelligence; aptitude),
  • des différences affectives (motivation, personnalité – anxiété, confiance en soi, attitude),
  • des différences socio-culturelles (âge, sexe, éducation antérieure),
  • des différences dans l’utilisation des stratégies d’apprentissage.

Évidemment, les étudiants chinois ne font pas exception et ont, eux aussi, des différences individuelles qui sont directement en lien avec l’apprentissage de la langue cible.

(…)

Le recours aux stratégies d’apprentissage

Les stratégies d’apprentissage sont des techniques utilisées par les apprenants de langue seconde afin de comprendre (saisir), intégrer (traiter et stocker) et réutiliser (récupérer) la langue cible. L’apprentissage est grandement facilité par ces stratégies. Chez les étudiants sinophones, surtout en début d’apprentissage, l’utilisation de ces stratégies peut être un grand défi, attribuable en grande partie à des différences socioculturelles.

Le recours à une langue maternelle ou à une autre langue seconde

L’apprentissage d’une langue seconde facilite le transfert des compétences dans une langue tierce. Étant donné que le mandarin est une langue très éloignée du français, l’apprentissage de l’anglais (langue seconde enseignée en Chine à partir du secondaire) permet un rapprochement des langues (alphabet, structures des phrases, etc.) et nous renseigne sur les mécanismes déjà en place. En d’autres mots, si un étudiant a été capable d’apprendre une langue seconde sans problème, ses chances de transfert de compétences à une langue tierce sont plus élevées et facilitées. Selon nos observations, les étudiants chinois ayant des difficultés marquées en anglais ont aussi des difficultés accrues et persistantes avec l’apprentissage du français.

La tolérance à l’ambiguïté

Apprendre une langue, c’est être capable de tolérer qu’il y ait des mots, des phrases, ou des messages qui peuvent nous échapper aussi bien à l’écrit, qu’à l’oral. C’est tout à fait normal. Il est impossible de tout traduire, surtout lorsque nous sommes engagés dans une conversation. Or, chez certains étudiants chinois, le fait de ne pas comprendre du premier coup entraîne un certain stress qui peut même parfois mener à un manque de concentration et d’attention en cours d’activités.

L’utilisation du dictionnaire bilingue

Le dictionnaire est bien sûr un outil indispensable pour apprendre une langue. Cependant, il est très important de savoir quand et comment l’utiliser. Or, il arrive fréquemment que les étudiants utilisent le dictionnaire pour traduire des mots pendant les explications de l’enseignant ou lorsque quelqu’un d’autre parle. Cela peut engendrer des difficultés à comprendre et poursuivre avec les explications ou avec la conversation en cours. Le fait de ne pas pouvoir utiliser le dictionnaire dans certaines circonstances peut amener certains étudiants chinois à se sentir complètement démunis et anxieux et même à vouloir éviter les contacts avec des locuteurs natifs et/ou francophones.

La prise de risques et la place de l’erreur

Comme nous avons vu précédemment, la place qu’occupe l’erreur en Chine et au Québec est très différente et ce, dû en grande partie aux méthodes pédagogiques employées. Alors qu’en Chine, l’erreur est peu encouragée et que prendre des risques pourrait faire perdre la face, au Québec, c’est plutôt l’inverse. Or, lorsque l’on apprend une langue, l’erreur est inévitable! La prise de risque est aussi nécessaire puisqu’elle donne des indices précieux sur la progression des apprentissages des étudiants.

Poser des questions

Tout comme la prise de risques, poser des questions n’est pas une pratique courante en Chine. Poser des questions peut être associé à un enjeu culturel : faire perdre ou sauver la face de l’enseignant, et aussi de l’étudiant. En début d’année, les étudiants ne posaient pratiquement aucune question, alors qu’à la fin plusieurs n’hésitaient pas à le faire et même pendant la classe.

La coopération et l’entraide

Étant donné la structure d’un cours en Chine, le travail d’équipe peut être une pratique plus ou moins courante chez les étudiants. Souvent, ils ont du mal à parler en français entre eux et si un étudiant est plus avancé, les autres auront tendance à suivre ses réponses sans nécessairement donner leur point de vue. Néanmoins, le travail en sous-groupe est très profitable pour les étudiants qui, une fois intégrés dans leur programme, n’auront bien souvent pas le choix d’y participer. Il est préférable que les étudiants chinois travaillent avec d’autres étudiants, de préférence francophones, dans les cours universitaires que de les laisser travailler ensemble.

La pratique et l’exposition à la langue

Habitués à une méthode axée davantage sur l’écriture et sur la lecture, les étudiants laissent parfois de côté des compétences langagières comme la compréhension orale et l’expression orale. Par contre, pour poursuivre des études à la maîtrise ou au baccalauréat au Québec, ils doivent développer ces compétences langagières. Pour y arriver, ils doivent pratiquer et s’exposer le plus possible au français avec des locuteurs natifs ou des francophones. Cependant, leur esprit communautaire les amène parfois à se regrouper et à ne parler que le mandarin, ce qui limite leur contact avec la langue française. La pratique de la langue ne s’arrête pas aux exercices donnés en salle de classe; les étudiants chinois doivent saisir toutes les occasions possibles afin de pratiquer aussi le français à l’extérieur des salles de classe.

Se fixer des buts : la motivation

Selon Krashen (1989), l’exposition à la langue cible est insuffisante pour qu’il y ait acquisition de cette langue; il importe que l’apprenant puisse y donner du sens et soit motivé à le faire. La motivation a un rôle central et essentiel dans l’apprentissage. Dans l’apprentissage d’une langue, il y a deux sortes de motivation :

  • la motivation instrumentale

    réfère davantage à un but utilitaire à apprendre une langue (pour l’emploi, la promotion, pour l’obtention d’un diplôme, etc.);

  • la motivation intégrative

    vise plutôt un but social (pour connaître une culture, pour s’y intégrer, etc.).

Les recherches ont démontré que la motivation intégrative donnerait de meilleurs résultats que la motivation utilitaire. Les étudiants chinois ont des niveaux de motivation très différents et on constate que ceux ayant une motivation intégrative s’adaptent plus rapidement à leur milieu et obtiennent de meilleurs résultats.

Les chocs culturels

Tous les étudiants chinois ont avoué avoir vécu plusieurs chocs culturels. Parmi ceux-ci, on note :

  • La nourriture (bien trop sucrée à leur goût)
  • La neige : pour la plupart, ils adorent la neige, mais appréhendent le froid.
  • L’enseignement et la relation enseignant-étudiant
  • Les pauses-café et les règles administratives
  • La manière de s’exprimer des Québécois
  • L’interculturalité

Pour plus d’information veuillez communiquer avec karineveillette at gmail.com

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